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Antonie Pannekoek Archives


La crise de la théorie socialiste ; Le « Groupe de Communistes Internationaux » en Hollande / Anton Pannekoek, 1947


Source originale : The Crisis in Socialist Theory ; « Group of International Communists » Hollande / Dr. Anton Pannekoek. – dans : Left, No 132, Octobre 1947, p. 225-228; version néerlandaise  De crisis in de socialistische theorie ; De “Groep van Internationale Communisten” in Holland; version allemande: Die Krise in der sozialistischen Theorie ; Die „Gruppe internationaler Kommunisten“ in Holland. – In: Arbeiterräte ; Texte zur sozialen Revolution / Anton Pannekoek. – Bochum : Germinal, 2008. – 696 p. – p. 627-630 [annotated]; traduit de l’anglais par Bernard, 14 janvier 2018.


La première guerre mondiale et les révolutions russe et allemande qui ont suivi ont soulevé de nouveaux problèmes et apporté de profonds changements dans les idées des ouvriers et des socialistes. Le Parti Socialiste Allemand, apparemment l’organisation puissante prête à conquérir la domination politique, et donc à établir le socialisme, se transforma, quand il fut au pouvoir, en moyen pour ré-établir le capitalisme. En Russie, les ouvriers avaient vaincu le tsarisme et pris possession des usines et de la terre ; puis le Capitalisme d’État les enferma dans un strict esclavage sous la domination d’une nouvelle classe de maîtres. Et le réformisme n’était pas le seul coupable ; et les porte-paroles les plus importants du radicalisme intransigeant, désignés comme marxistes, tels que Kautsky et Lénine, furent des agents de cette évolution. Clairement, il devait y avoir quelque chose de faux dans la doctrine courante.

La doctrine courante était que les ouvriers, par leur bulletin de vote, élisaient un Parlement et définissaient un gouvernement socialiste ; alors ces politiciens et fonctionnaires devaient faire le travail essentiel d’expropriation des capitalistes, d’abolir la propriété privée des moyens de production et d’organiser la production. Le système de propriété publique qui s’ensuivit, dans lequel les ouvriers sont des salariés au service de l’État, est totalement différent de la propriété commune où les ouvriers sont les maîtres directs des entreprises et gèrent eux-mêmes leur travail. Dans le deuxième cas, le problème surgit de savoir comment ces entreprises peuvent être combinées dans une organisation sociale correctement planifiée. Dans des discussion ferventes, une activité spirituelle intense, les différents groupes de gauche qui avaient rompu avec les partis socialistes et communistes, essayaient de découvrir quelles autres voies d’action devait mener la classe ouvrière au but de la liberté.

Les réfugiés politiques en Hollande qui avaient pris part à la lutte des ouvriers allemands, en 1920-1921, dans la révolte de la Ruhr et celle des usines de Saxe, avaient fait l’expérience de la richesse d’initiative et de capacités qui se répand dans les masses quand elles sont confrontées à la tâche de s’organiser elles-mêmes, d’organiser leur vie et leur combat. En Hollande, du fait de leur situation au milieu d’influences anglaise, française et allemande, une compréhension théorique fondamentale s’était répandue parmi des groupes assez larges d’ouvriers et d’intellectuels. Par sa collaboration un groupe de militants, se nommant eux-mêmes « Groupe de Communistes Internationaux » (g.i.c.) alla plus loin et se mit à l’étude des bases économiques de la nouvelle société. Ils savaient parfaitement qu’une révolution ouvrière n’apporterait pas immédiatement, comme par miracle, un monde d’abondance où chacun n’aurait qu’à prendre selon sa volonté. Le nouvel ordre socialiste doit être développé par un dur combat et un débat constant, au moyen d’une organisation bien conçue et suivant des règles strictes d’équité prolétarienne. Toute forme de société a ses solides bases matérielle dans un système économique, un mode de production et de distribution qui déterminent ses structures et son caractère. Déjà avant la guerre, mais plus encore après, beaucoup d’auteurs s’étaient occupés des problèmes économiques (Kautsky, Hilferding, Neurath, Leichter, Max Weber, Cole etc.), mais ils avaient tous supposé comme base qu’un pouvoir dirigeant central était nécessaire, un gouvernement qui impose ses régulations sur des unités de production séparées. Des écrivains anarchistes, c’est certain, avaient proclamé l’autonomie des entreprises séparées ; mais leur connexion dans une organisation sociale était laissée à la seule bonne volonté.

En étudiant le problème - le principal problème du socialisme - celui de savoir comment combiner la liberté et l’organisation, le g.i.c. savait qu’il n’avait qu’à poursuivre la ligne de pensée tracée par Marx dans des petites notes occasionnelles dans Le Capital et dans ses remarques sur le programme de Gotha de la s.d. allemande. Marx n’y parlait pas de socialisme d’État, auquel il s’opposait fortement, mais de « l’association de producteurs libres et égaux », dirigeant eux-mêmes leur travail ; il notait que plutôt que la valeur et la monnaie le « temps de travail moyen », mesuré en heures de travail, formera la base du nouveau système économique. Ces idées que les écrivains « marxistes » avaient totalement abandonnées étaient maintenant reprise par les auteurs du g.i.c. dans un livre important : les Principes de la production et de la distribution communistes qui parut en 1930 en allemand et en néerlandais. Il y est démontré que par la comptabilité de chaque entreprise, complétée par l’enregistrement et la comptabilité du procès social de production, sur la base des heures de travail effectuées, les ouvriers sont capable de surveiller et de diriger la production et la distribution. Des corps de délégués, les « conseils ouvriers », sont les instruments de l’organisation des entreprises séparées dans une totalité sociale. Il y est montré que ce n’est pas seulement une forme possible et meilleure que le socialisme dirigé par l’État, mais que c’est la seule forme possible. Il n’est pas possible pour une bureaucratie centrale de fonctionnaires et d’experts d’établir tous les besoins, de prescrire tout le travail et tous les processus dans leurs détails ; toutes les solutions proposées aboutissent à l’arbitraire dans la distribution par le fait d’une minorité dirigeante. L’auto-régulation pas les producteurs libres et égaux, d’un côté, est capable de réguler la production et la distribution sans difficultés, les règles et transactions étant imposées par les réalités économiques. Les difficultés surgissent quand un pouvoir d’État s’interpose entre la production et la consommation. Ainsi, les aspirations à l’auto-détermination émergeant parmi les ouvriers, du simple sentiment et programme politique, se transforment en une incarnation d’une nécessité économique. Ainsi une base scientifique était posée pour la tâche d’auto-libération de la classe ouvrière.

On doit regretter que ce livre n’ait pas été accessible aux ouvriers anglais (la plus grande partie de l’édition allemande, de plus, a été détruite avec la montée du nazisme), parce que ses bases pratiques auraient pu avoir un fort écho dans l’esprit pratique anglais. Maintenant que le capitalisme s’est mué en un pouvoir international, et que les conditions de la lutte tendent à être plus uniforme à travers le monde, les ouvriers de tous les pays devraient chercher plus d’échanges d’expériences et d’idées au plan international.

Pour l’époque présente, cette étude a donné une forte impulsion à la propagande de ce petit groupe. Dans sa déclaration de principes, le g.i.c. rejetait le leadership des partis politiques et des syndicats et mettait en avant les conseils ouvriers comme la forme d’organisation de l’autonomie. Il appelait les ouvriers à engager le combat pour la production communiste, à prendre en main la direction et l’administration de la production et de la distribution selon des règles générales et donc à réaliser l’association de producteurs libres et égaux.

Le g.i.c. ne s’est pas constitué en nouveau parti politique cherchant à avoir des adhérents ; il posait le principe selon lequel dans l’action pratique de la lutte réelle, les ouvriers doivent agir – et agiront – comme une unité solide, contre les divergences entre les groupes, partis et syndicats sont futiles. En plus de plusieurs brochures il a régulièrement sorti des « matériels de presse » mis à la disposition de tous les groupes qui souhaitaient les publier, et dans lesquels l’actualité était traitée de ce point de vue.

En plus de plusieurs brochures il a révélé régulièrement « des matériels de presse » mis à la disposition de tous les groupes qui devraient vouloir le publier, dans lequel l’actualité a été traitée de ce nouveau point de vue. Ainsi, dans une discussion amicale avec d’autres groupes de gauche, fortement et fondamentalement opposés aux socialistes au pouvoir et aux partis communistes, il disséminait ses idées. Dans la publication régulière des Rätekorrespondenz (Correspondance des Conseils) il traitait des questions théoriques. En 1938 il publia en allemand Lenin als Philosoph (Lénine Philosophe) dans lequel est montré que Lénine, dans ses idées philosophiques de base, s’oppose au marxisme ; faute de moyens financiers il n’a pu être édité qu’à un nombre limité d’exemplaires ronéotés. Après la guerre, le g.i.c., s’allia avec le groupe Spartacus qui avait en grande partie évolué dans la même direction ; qui avait un plus grand nombre de membres mais qui, dans le combat souterrain contre les allemands, avait perdu ses porte-parole les plus éminents. Ensemble, ils publiaient alors l’hebdomadaire Spartacus, le seul hebdomadaire qui faisait de la lutte de classe sans compromis pour la liberté et la maîtrise de la production la base et le contenu de toute sa propagande. Un livre sur De Arbeidersraden (Les conseils ouvriers), exposant ces vues (il existe aussi une version en anglais sous forme de manuscrit) a été publié par eux l’année dernière.


Compiled by Vico, 14 January 2018