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Antonie Pannekoek Archives


Rapport de la délégation envoyée à Moscou / Jan Appel, Franz Jung, 1920


 Nous publions, ci-après, le rapport fait en 1920 par Jan Appel et Franz Jung lors du deuxième congrès de l’i.c. où ils ont été mandatés par la k.a.p.d. pour discuter avec l’Internationale et son exécutif sur les questions essentielles suivantes : la situation politique en Allemagne et la révolution, l’attitude opportuniste du k.p.d. pendant les événement de mars et contre le putch de Kapp ce qui a notamment poussé à la création d’un parti réeelement ouvrier et révolutionnaire : k.a.p.d. Sa fondation intervenient après l’expulsion des révolutionnaires du k.p.d.-Ligue Spartakus. Etaient aussi en discussion la question de l’organisation politique, des Unions et la dénonciation des syndicats. A la suite de la discussion au congrès, le k.a.p.d. a été reconnu comme organisation sympathisante de l’i.c. et il a été décidé la création d'un Comité organisateur conjoint avec la Ligue Spartacus afin de réunifier les deux partis. Elle le restera jusqu’au 3ième congrès de l’i.c.. Au passage, la délégation note qu’elle n’a pas pu véritablement discuter de la question parlementaire et syndicale comme le k.a.p.d. aurait aimé qu’elle le fut.
Nous remercions Jean-Pierre Laffitte le traducteur du document publié en allemand sur le site de marxist.org  : et Michel Olivier qui recherche les textes du mouvement ouvrier révolutionnaire toujours inconnus notamment par le public français.


Notre délégation a été choisie suite à l’invitation du Conseil Exécutif de l’Internationale Communiste à l’« opposition » pour envoyer deux délégués à Moscou. Entre-temps, l’« opposition » s’est regroupée et a formé le « Parti Communiste Ouvrier d’Allemagne », et le Congrès fondateur du Parti a décidé d’envoyer une délégation à Moscou sur la base de cette invitation. Le « Secrétariat de l’Europe de l’Ouest » a précédemment informé l’« opposition » qu’il avait reçu l’instruction d’organiser l’itinéraire de voyage pour les délégués, ainsi que d’en fournir les moyens financiers. En réponse à une demande de la délégation au Secrétariat de l’Europe de l’Ouest (s.e.o.), ce dernier a déclaré qu’il n’était pas possible d’obtenir un itinéraire avant le début du mois de juin. Comme les tâches spéciales de la délégation concernant la situation politique étaient particulièrement urgentes, et étant donné qu’en particulier la propagande électorale déployée par la Ligue Spartacus devait se faire aux dépens du k.a.p.d. nouvellement fondé, ce qui devait conduire à une nouvelle érosion du front du prolétariat révolutionnaire en Allemagne, nous avons décidé de rechercher notre propre chemin et de renoncer au soutien du s.e.o..

Les tâches de la délégation ont été réparties selon les trois axes suivants : 1. faire un rapport sur la situation politique et sur l’évolution de la révolution sociale en Allemagne. 2. rendre compte de la fondation du parti et de ses positions, en vue de la décision de se concentrer sans réserve sur le terrain de la Troisième Internationale. 3. s’expliquer à propos de l’activité de propagande et faire des propositions pour mettre davantage l’accent sur l’idée communiste, sur le sens de la communauté à l’encontre de l’idéologie bourgeoise à l’intérieur de la propagande générale. Nous avons déjà informé le s.e.o. des tâches spécifiques de notre délégation au cours d’une discussion commune qui a eu lieu à l’occasion de la fondation de notre parti.

Nous notons qu’en général, parmi les camarades russes, y compris ceux qui ne partagent pas notre position et qui la combattent fondamentalement, il y a eu une très vive satisfaction d’avoir l’occasion de pouvoir s’expliquer personnellement avec des membres officiels de l’« opposition » sur toutes les questions en suspens au sujet de la Révolution allemande. Il est nécessaire de mettre l’accent sur le terme « officiels », car à part quelques camarades honnêtes et compétents qui ont trouvé refuge auprès des camarades russes pour des raisons d’illégalité, des aventuriers et des imposteurs, dont certains ont été écartés de force du mouvement communiste allemand, se sont frayés un chemin vers la Russie où ils se sont présentés comme des représentants de l’« opposition » allemande. Bien qu’il n’ait pas été difficile pour les camarades russes de voir rapidement la véritable nature de ces éléments, ils ont pourtant provoqué une terrible confusion, tant sur les raisons de la scission que sur les véritables objectifs de l’« opposition », un élément qui a rendu difficile dès le départ notre activité consistant à fournir des rapports. L’on peut ajouter à cela le fait qu’aussi bien la Ligue Spartacus que le s.e.o. ont fait tout leur possible, notamment au cours de l’année 1919, pour répandre des informations autant que possible fausses sur la conférence de Heidelberg et sur les objectifs de l’« opposition », en envoyant en particulier à Moscou, sous une forme la plus soigneusement rassemblée, toutes les versions compromettantes pour l’« opposition », laquelle n’était pas du tout encore réunie de façon organique ; ces versions provenaient de personnes irresponsables ; en contrepartie, le matériel relatif à la nécessité qui se manifestait progressivement de la fusion organique de l’« opposition », matériel sur les objectifs et les tâches du k.a.p.d. – issu de l’Opposition – qui prenaient corps, n’est jamais parvenu à Moscou. Nous regrettons de devoir dire que nous n’avions nous-mêmes aucun engagement écrit autre que le rapport du Congrès et un article de journal traitant en termes généraux du programme du k.a.p.d. L’erreur que nous et le Parti avons commise, en mettant si peu l’accent sur l’élaboration d’une analyse du développement de la révolution sociale, dans la prise en considération du parti et du mouvement organisé au sein de la classe ouvrière, peut sembler explicable si l’on tient compte des affrontements vifs et épuisants avec des personnes et la diversité des points de vue au sein du mouvement communiste en Allemagne, ainsi que des attaques et des diffamations dont chaque individu a eu continuellement à se défendre. Cela peut sembler explicable, mais cela ne nous excuse pas ; en effet, l’absence d’une telle analyse, que nous aurions dû fournir et apporter, a grandement nui à la délégation dans ses négociations avec l’Exécutif.

Nous avons ensuite largement utilisé le temps dont nous disposions pour nous acquitter de nos tâches avec les instances du parti russe, avec l’Exécutif de l’Internationale communiste, avec des camarades individuels, à la fois dirigeants ou simples militants du parti russe, et enfin avec des représentants de partis frères de l’étranger ; certains étaient des représentants de leur parti au bureau de l’i.c. ; d’autres avaient été envoyés en tant que représentants à Moscou pour s’informer ; d’autres encore avaient adopté une attitude négative pour parler de la Troisième Internationale. En ce qui concerne notre première tâche, à savoir le rapport sur la situation politique, nous pouvons parler maintenant rétrospectivement d’un succès complet.

Une description des événements de Mars, effectuée par la Ligue Spartacus, qui fut publiée ultérieurement dans L’Internationale communiste, se trouvait entre les mains de l’Exécutif. Nous n’avons pas eu besoin de procéder à des contre-exposés relatifs aux déformations particulières des faits et aux condamnations erronées de la situation politique pendant le Putsch de Kapp. Les camarades russes eux-mêmes avaient le sentiment que ce gâchis provenait de l’embarras engendré par la dissimulation de l’incapacité à centraliser. Ils ont même attiré notre attention sur les excuses embarrassées, se contredisant, qui ne cherchaient qu’à se cacher laborieusement derrière la polémique contre l’« opposition ». Nous pouvons dire que ce rapport a provoqué en Russie un hochement de tête général, mais aussi en partie une hilarité générale. Le rapport devant être publié dans L’Internationale communiste pour le compte officiel de la Ligue Spartacus, on nous a demandé de rédiger un nouveau rapport pour L’Internationale communiste. Cependant, d’autres tâches plus importantes ont été rajoutées, de sorte que nous n’avons pas pu encore accomplir cette mission. Nous sommes de surcroît d’avis que, dans une nouvelle situation, nous pouvons faire un bien meilleur usage de l’offre qui nous a été faite de rédiger un rapport sur l’Allemagne dans L’Internationale communiste. De plus, il nous a aussi semblé gênant de devoir, devant toute l’Internationale, montrer l’incompétence des communistes allemands, aussi divisés soient-ils, y compris celle d’être d’avis différents sur la question la plus importante du moment : celui du chemin vers la révolution. Cette décision a été particulièrement influencée par le fait que les camarades russes partageaient pleinement notre point de vue sur le processus révolutionnaire en Allemagne. Ils ont déclaré littéralement, y compris Karl Radek en particulier, lequel doit être considéré comme le point d’appui de la Ligue Spartacus à Moscou, que de nouvelles instructions et directives seraient données à la Ligue Spartacus pour l’évaluation de la situation révolutionnaire en Allemagne. Dans ce contexte, nous avons également discuté de la question de l’unification de toute la classe ouvrière révolutionnaire en vue de la conquête du pouvoir politique en Allemagne. Il a été établi, et on ne peut que souscrire sans réserve à cette opinion donnée à partir d’un regard extérieur à l’Allemagne, que la condition préalable à la victoire et à la conservation du pouvoir politique gagné est l’unification de la classe ouvrière révolutionnaire. Vu de Moscou, et c’est pleinement confirmé par nous, la situation pour l’unification de la classe ouvrière qui lutte pour la dictature du prolétariat ne présente pas autant de difficultés qu’il n’y paraît à l’intérieur même de l’Allemagne. Le développement de la situation économique et politique forcera tôt ou tard la classe ouvrière à s’unir en mettant en œuvre certains slogans fondamentaux qui peuvent constituer la base d’une action commune, à condition que la classe ouvrière se décide à prendre conscience de sa propre valeur, à empêcher, ou du moins à rejeter au second plan, les haines personnelles entre ses dirigeants ainsi que les ergotages dans la différenciation violente des tactiques révolutionnaires. De telles directives existent déjà en Allemagne, comme l’armement de la classe ouvrière, le désarmement de la réaction, et la lutte de la classe ouvrière pour le contrôle de la production. Peu importe dans le détail l’importance des différentes tactiques entre les programmes des partis car le front uni de l’écrasante majorité de la classe ouvrière allemande existe déjà. C’est avec plaisir que nous avons déclaré notre volonté d’appuyer les efforts de notre parti pour aider à promouvoir sur cette base une communauté d’action en vue de la lutte finale, et nous avons en outre exprimé l’espoir que notre parti prendrait certainement l’initiative pour la création d’une telle communauté d’action.

En ce qui concerne le deuxième point, "Rapport sur la fondation du parti et sur sa position en vue de la décision de participer sans réserve à la IIIième Internationale", les négociations officielles ont rencontré les difficultés et les insuffisances mentionnées ci-dessus. Comme je l’ai déjà dit, nous n’avions pas de bases suffisamment établies et détaillées du programme du parti ainsi que de l’évolution de la scission, de sorte qu’il était facile de comprendre et de traiter nos déclarations comme étant des opinions individuelles. Les omissions volontaires de tous les irresponsables possibles, lesquelles, pour certaines d’entre elles, remontaient à longtemps, ont été retenues contre nous : et notre explication selon laquelle le parti en tant que tel ne pouvait pas être tenu pour responsable des événements de l’« opposition » au cours des mois précédents, et qu’en particulier le k.a.p.d., qui est né de la nécessité de regagner la capacité d’agir, doit lutter et se consolider dans sa forme organisationnelle stricte, tout d’abord dans la lutte pratique quotidienne, n’a pas été reconnue à sa juste valeur comme, selon nous, elle aurait mérité de l’être. En fait, l’Exécutif nous a déclaré qu’il n’y avait aucune raison de se méfier du k.a.p.d. dans son ensemble. Mais à l’heure actuelle, il ne pouvait pas accorder sa confiance à notre organisation, ce qui aurait été évident en soi, sur la base de la déclaration de Mai de l’organisation de Hambourg, signée par les camarades Laufenberg et Wolffheim, lesquels ont en outre réclamé l’approbation officielle de l’ensemble du parti. La déclaration de Mai nous a été lue à haute voix au début de la discussion engagée à propos de notre requête, et le cadre dans lequel l’ensemble des négociations se sont poursuivies est demeuré tel quel. Les allégations contenues dans cette déclaration, notamment sur les coups de poignard portés au front, sur la guerre civile et sur l’insurrection nationale, nous ont semblé si monstrueuses que nous avons déclaré dès le début que, concernant ce manifeste, il ne pouvait s’agir que d’une falsification grossière. Nous nous sommes finalement inclinés devant les faits, nous avons dû reconnaître l’authenticité de ce manifeste, et nous avons déclaré que nous aurions refusé de représenter, à Moscou, un parti qui aurait tolérer de telles opinions dans ses rangs. Bien qu’il puisse s’agir d’une provocation délibérée de la part de Laufenberg et Wolffheim de Hambourg pour que le parti serve leur point de vue particulier et que la délégation se trouve devant le fait accompli, nous ne voulons pas tomber dans les vieilles erreurs des partis et laisser cette affaire se transformer en des différends personnels. Nous avons déclaré que nous prendrons fait et cause pour effectuer la mise à l’écart de ces tendances dans notre parti. Nos camarades comprendront que, cependant, une telle déclaration n’a guère influencé la tendance des négociations dans la mesure où la séance était présidée par un camarade comme Karl Radek, lequel a un intérêt évident à défendre la politique de la Ligue Spartacus contre nous. Dès le départ, nous nous sommes retrouvés dans une position défensive désespérée, et elle était désespérée parce que, de par sa nature même, nous n’avons pas eu la possibilité à ce moment-là de présenter une déclaration officielle du parti dans son entier contre ces tendances, de sorte que nos opinions ont toujours été nécessairement considérées comme étant privées. L’Exécutif nous a ouvertement donné à comprendre que, en conséquence, il devait éprouver une méfiance justifiée à l’égard de l’unité de notre organisation et qu’il devait également prendre des décisions appropriées.

C’est dans ce contexte que nous a été présentée une résolution du camarade Rühle, qui avait été adoptée par le district économique de la Saxe orientale, qui s’opposait à l’unité du parti, et qui a donc fourni à l’Exécutif un nouveau sujet de méfiance à l’encontre de notre organisation unifiée en tant que nouveau vivier. Nous avons pleinement soutenu le point de vue de l’Exécutif selon lequel, concernant le moment critique actuel de la révolution sociale, quand en quelque sorte toutes les forces doivent être unies dans cette phase avant la bataille décisive, un parti politique rigoureux est absolument nécessaire en tant qu’organisation de groupes de combat, et selon lequel aussi, au milieu des préparatifs de la lutte finale, les tendances à la dissolution du parti à l’heure actuelle devraient certainement avoir un effet paralysant. Nous avons déclaré que même les membres des districts économiques qui s’étaient prononcés en faveur de l’autonomie de l’organisation et pour la transformation du concept de parti en un concept communautaire d’une association plus fédéraliste, ne voulaient pas être comptés parmi ceux qui rejettent la direction disciplinée de la lutte et parmi ceux qui nient dans tous les cas la nécessité d’un parti politique centralisé, telle que le programme du KAPD la reconnaît également. Mais la déclaration de cette révolution de ne rester dans le parti qu’afin de le dissoudre, exprimait, en des termes prêtant peut-être à équivoque, par trop le contraire. Nous sommes convaincus que seule la franchise sans ménagements des objectifs et de l’organisation d’un parti peut vaincre et doit vaincre la méfiance des communistes allemands à l’égard des partis en général, laquelle est due dans une large mesure à la tactique de la Ligue Spartacus, à condition que ces communistes allemands veuillent agir en véritables camarades d’armes dans la phase décisive de la révolution sociale. Il sera nécessaire que chaque individu atteigne une plus grande autodiscipline afin de ressentir la discipline nécessaire pour mener le combat non pas comme une autorité imposée de force d’en haut, mais comme la base communautaire de tous les combattants dans une organisation disciplinée, du bas vers le haut. Nous avons déclaré que nous considérions les tendances destructrices du parti comme incompatibles avec le programme de notre parti et que nous prônions la purification du parti de telles tendances. Dans ce cas également, il ne pourra pas s’agir d’introduire des différends personnels et des insultes dans les affrontements auxquels il faut s’attendre.

Il est tout à fait compréhensible qu’après ces discussions, qui ont réclamé toute une journée entière de pourparlers, nos négociations sur les questions tactiques, telles que notre position sur le parlementarisme et la question syndicale, aient perdu beaucoup de l’intensité avec laquelle elles auraient dû être traitées. Au cours d’une deuxième journée de pourparlers, cette question a été abordée et le point de vue de l’Exécutif, qui est formulé en détail dans une Lettre ouverte aux membres du k.a.p.d., a été exposé. Ces pourparlers atteignent pour l’essentiel leur apogée avec l’affirmation que la tactique du k.a.p.d. pousserait au sectarisme, dans la mesure où il y aurait un risque qu’elle s’éloigne des masses. Nous avons défendu dans le détail le point de vue du k.a.p.d. et nous avons indiqué en particulier que notre tactique s’efforcerait précisément de s’adresser aux masses dans un but d’agitation avec de nouvelles performances, contrairement à la critique creuse précédente, et que c’était par exemple une tâche de l’« Union Générale des Travailleurs » [a.a.u.] de mener la lutte contre les syndicats en présentant, déjà dans la pratique, la nouvelle forme d’organisation aux masses de ses membres. En tant qu’organisation, elle représente donc un nouveau moyen de lutte par opposition à ceux utilisés précédemment. Nous avons eu la satisfaction de constater que l’intérêt pour le développement et les objectifs de l’« Union Générale des Travailleurs » est très grand, en dépit du point de vue négatif des secrétaires, et, là encore, s’est à nouveau manifestée l’absence de description fondamentale détaillée du développement et des objectifs de l’« Union Générale des Travailleurs ». Lénine nous a remis une brochure intitulée Lr gauchisme, maladie infantile du communisme, qui prend essentiellement fait et cause pour la souplesse et l’élasticité de la tactique au cours de la lutte révolutionnaire. Nous nous sommes déclarés en principe d’accord avec les lignes directrices qui y sont développés et nous avons également admis avoir défendu chez nous, en ce qui concerne la lutte défensive que nous devons mener contre les opinions opposées, une certaine rigidité dans notre tactique. Mais dans la mesure où la brochure traite d’une critique de la situation de l’Allemagne qui, comme Lénine lui-même l’a admis face à nous, peut être attribuée à une méconnaissance unilatérale de l’évolution de la classe ouvrière allemande vers la révolution sociale, nous n’avons pas manqué de souligner les erreurs que cette dernière contient. En ce qui concerne la question du parlementarisme, l’on se trompe également en Russie sur une analyse détaillée de la situation politique, laquelle donne raison à notre point de vue selon lequel les élections parlementaires ont nécessairement un effet paralysant sur le développement de la révolution sociale, compte tenu particulièrement des courants de pensée de la classe ouvrière allemande et, surtout, là encore, des indifférents qui se tiennent à l’extérieur de la lutte politique. En résumé, l’on peut dire que la formulation de l’attitude tactique fondamentale de la Troisième Internationale ne sera décidée que lors du Congrès en cours. Malgré la prédominance incontestable des camarades russes à ce Congrès, il ne semble pas du tout certain que le Congrès acceptera les thèses de l’Exécutif telles quelles, du moins pas avec un caractère impératif portant sur la situation allemande actuelle et sur les objectifs tactiques de notre parti. Notre tâche consistera non seulement à exposer en détail notre point de vue sur la question syndicale par-delà la critique creuse, mais encore à présenter au Congrès, après avoir pris contact avec les organisations sœurs d’Amérique, des Pays-Bas, de Norvège et de Suisse, qui se situent pour l’essentiel sur notre position, et en liaison avec les syndicats russes qui sont entièrement fondés sur le principe de l’« Union Générale des Travailleurs », des motions et lignes directrices appropriées qui, sans faire éclater le caractère unitaire de lutte, que nous saluons également, de la Troisième Internationale, laisseront de la place à notre tactique dans la question syndicale et dans le traitement du parlementarisme. C’est dans ce sens que nous avons fait une déclaration en vue de défendre auprès de notre Parti la position qui consiste à nous soumettre aux décisions du Congrès de la Troisième Internationale.

Dans la réponse, qui nous a été transmise peu avant notre départ, de sorte que nous n’avons plus eu l’occasion de nous exprimer à son sujet, il est également prévu, comme autre point, la création d’un Comité organisateur conjoint avec la Ligue Spartacus. Sur la question de la scission, la Lettre ouverte contient des erreurs vérifiables que nous aurions pu facilement tirées au clair lors d’une prise de contact préalable que nous avons toujours réclamée. Lors des divers entretiens personnels que nous avons eus avec des camarades russes comme Lénine, Zinoviev et Boukharine, ainsi que lors des négociations officielles avec les membres de l’Exécutif, nous avons sans cesse discuté objectivement et en détail de ce qui nous sépare de la Ligue Spartacus et pourquoi la scission provoquée par la Ligue Spartacus est au bout du compte devenue pour nous aussi une nécessité absolue. Nous avons expliqué que les questions de tactique dans lesquelles les partis divergent sont d’une importance presque secondaire, parce qu’elles ne sont, après tout, qu’une conséquence du principe de base de la Ligue Spartacus, à savoir le principe du pouvoir absolu et autoritaire des dirigeants vis-à-vis de la classe ouvrière. Les différences tactiques se sont développées du fait de l’attitude hésitante des dirigeants de la Ligue Spartacus, des anciens et de ceux qui sont restés, ainsi qu’à cause de leur incapacité à faire face à toutes les questions de la révolution sociale après les mois des premières retombées, au début de 1919. Nous pouvons annoncer que les camarades russes sont généralement assez d’accord avec nous sur cette question. Ils sont seulement d’avis qu’en Allemagne, le Parti communiste doit être soutenu par la prédominance morale du Parti russe et de l’Exécutif, et qu’il doit être possible d’éduquer progressivement les dirigeants, même incompétents, à des méthodes plus efficaces pour la révolution mondiale. Ils sont d’avis qu’il n’y aurait pas assez de temps pour éduquer et pour tester de nouveaux chefs qui auraient un caractère « autoritaire » vis-à-vis de la classe ouvrière. En réponse aux questions de ses collègues du Parti russe sur les dirigeants de la Ligue Spartacus, Karl Radek a déclaré que, dans la période relativement courte du développement plus intensif de la révolution, ils n’avaient pas trouvé suffisamment d’occasions pour s’assurer de leur autorité parmi la classe ouvrière, et que c’est pour cette raison que l’Exécutif devait les aider. Il est en outre intéressant de noter la déclaration explicite de Karl Radek selon laquelle, après avoir au début préconisé la scission, il a lui-même adressé au Dr Paul Levi, à l’époque de la réunion du Congrès d’Heidelberg, une lettre écrite sur la base d’idées nouvellement acquises sur l’évolution de la classe ouvrière allemande dans la phase de la révolution sociale, et dans laquelle il déconseillait vivement une scission, étant donné que le temps de la scission dans le Parti Communiste Allemand n’était pas encore venu à cette époque-là. Il aurait mis en garde contre une division précipitée tant que les tendances prétendument syndicalistes, qui étaient au premier plan à l’époque, n’auraient pas suffisamment mûri dans la classe ouvrière pour pouvoir justifier une division. Mais comme le Dr Levi n’avait pas reçu cette lettre à temps, il n’y avait plus rien à changer à ce qui avait été fait, et il fallait maintenant s’accommoder de cette erreur tactique. Et c’est précisément pour cette raison que la Ligue Spartacus avait d’autant plus besoin du soutien moral de l’Exécutif.

Nous nous sommes félicités de ce débat public, mais nous avons indiqué que l’autorité, qui est censée être la détentrice du pouvoir disciplinaire au combat, ne pourrait être comprise et approuvée par nous que si elle est synonyme de confiance. Nous avons en outre signalé que les dirigeants de la Ligue Spartacus manquent de cette confiance auprès de l’écrasante majorité de la classe ouvrière qui est entrée, en tant qu’avant-garde, dans la révolution sociale en Allemagne en 1919, et que du moins ils l’auraient perdue à cause de leurs méthodes de conduite du combat au sein des partis et dans les luttes d’opinion. L’évolution des différends avec la Ligue Spartacus montre qu’il ne s’agit pas de dérapages occasionnels de personnes à bout de nerfs, mais qu’il existe un système sous-jacent. C’est une nouvelle crise dans laquelle la classe ouvrière allemande qui veut la lutte révolutionnaire, mais qui veut avoir le moins possible affaire aux questions systémiques de psychologie et de ses effets, est poussée à devoir décider maintenant si elle veut faire partie d’une organisation autoritaire qui fonctionne du haut vers le bas ou si elle veut emprunter le chemin épineux du développement préalable de la confiance en soi afin de devenir l’avant-garde de la révolution sociale. La situation en Allemagne a, peut-être heureusement, entraîné le fait qu’une partie de ces questions sont déjà en suspens dans le devenir de la révolution. Et ce n’est pas tant une question purement allemande qu’un problème pour l’ensemble de la classe ouvrière d’Europe occidentale qui est à traiter ici. Nous ne voulons pas fermer les yeux sur la difficulté de trouver rapidement une solution. Cependant, on peut dire sans risque de se tromper que quiconque a reconnu la différence d’attitude fondamentale entre les deux Partis communistes considère comme impossible de prôner maintenant la fusion prochaine des deux Partis communistes. Vouloir leur suggérer l’idée de former maintenant avec la Ligue Spartacus une organisation unifiée, c’est-à-dire une seule grande famille communiste, cela signifie briser la volonté révolutionnaire et la colonne vertébrale du développement de la confiance en soi de nos membres, lesquels ont été attaqués par des moyens détestables. Nous sommes conscients que, de notre côté aussi, dans la lutte défensive, des moyens détestables ont été utilisés. Nous sommes également convaincus que les différends avec la Ligue Spartacus, qui revêtent au fond une importance internationale, doivent être réglés sur un terrain objectif. Nous sommes en outre convaincus que, s’il existe la bonne volonté d’atteindre l’objectif final de la révolution actuelle, à savoir la conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière, cela peut être une chose facile de définir exactement dans quelle mesure une association avec la Ligue Spartacus est possible et dans quelle mesure elle doit l’être. C’est pourquoi, nous croyons pouvoir recommander d’accepter la proposition de créer un Comité organisateur. Les camarades russes nous ont déclaré qu’une nouvelle personnalité, qui n’a pas été compromise et affectée par les luttes de fractions, sera déléguée pour présider ce Comité d’action en tant que représentant de l’Exécutif.

Enfin, nous rapportons l’invitation faite au Parti d’envoyer des délégués au nouveau Congrès. Nous demandons, sur la base de notre propre expérience, que ces délégués soient dotés d’une documentation détaillée et d’instructions précises de nos membres. Le Congrès acquerra une importance internationale dans la mesure où il y aura le désir général de ne laisser l’Internationale influer que dans une certaine mesure sur cette session. Il est bien connu que la fondation de la III° Internationale était une nécessité tactique qui devait préfigurer, d’une certaine mesure, la décision du prolétariat international lui-même. La décision du prolétariat révolutionnaire conscient en faveur de la III° Internationale ne sera sans aucun doute pas prise par le prolétariat révolutionnaire conscient : mais les décisions qui y seront prises permettront de donner un nouvel élan au développement de la révolution mondiale au moyen d’une synthèse précise. Le k.a.p.d. ne voudra certainement pas s’y opposer. Connaissant la situation de notre Parti, nous pouvons dire qu’aucun de ceux qu’on appelle les leaders de notre Parti n’a l’ambition de mettre sa personne au premier plan, comme indiqué dans la Lettre ouverte susmentionnée, et qu’il n’hésiterait pas une seule minute à démissionner si sa personne devait faire obstacle au développement de l’unification de la classe ouvrière révolutionnaire en vue de la lutte finale.

Nous vous informons également que les camarades russes nous ont volontiers mis à disposition les colonnes de leurs quotidiens pour présenter nos intentions sur la situation politique et économique en Allemagne ainsi que sur nos méthodes de combat. Nous avons publié des essais dans des revues syndicales et dans une revue économique, et également quelques articles dans les quotidiens. De plus, nous n’avons pas manqué l’occasion d’entrer en contact personnel avec nos camarades russes et nous avons pris la parole en tant qu’orateurs lors d’une réunion d’entreprise de l’usine Prokhorov, l’une des plus grandes manufactures textiles russes employant plus de 8000 travailleurs, ainsi qu’en tant que conférenciers lors d’une réunion publique du Rayon de Bresnaya, à laquelle ont assisté plusieurs milliers de personnes. Lors de ces deux réunions, des résolutions ont été adoptées qui exprimaient les salutations des communistes russes et du prolétariat russe au prolétariat allemand et au k.a.p.d. et qui espéraient que les travailleurs allemands réussiraient à briser, dans un front unitaire homogène, le pouvoir du capital et de la bureaucratie syndicale. Dans les deux assemblées, la discussion montra que le prolétariat russe s’attendait à ce que les camarades allemands soient à même d’aider à reconstruire la Russie soviétique par leur victoire. Les résolutions exprimaient en outre le fait que le prolétariat russe est prêt à accepter de nouveaux sacrifices et fardeaux, à accélérer le développement de la Révolution allemande par un soutien énergique et, en cas de victoire, à aider à défendre la sécurité du pouvoir conquis. Nous avons également orienté nos efforts vers l’établissement et le renforcement des liens avec les organisations sœurs à l’étranger. Nous avons établi de tels liens avec les deux Partis communistes en Amérique ainsi qu’avec l’i.w.w., le « British Socialist Party », le Parti ouvrier norvégien, les Jeunes socialistes en Suède et au Danemark, le Parti communiste suisse, les Partis communistes letton et tchécoslovaque et le Parti communiste finlandais en voie de création. Il y a une perspective que nous pourrons bientôt renouer aussi, grâce à des personnes interposées, avec le réseau de nos connexions avec les partis prolétariens des autres pays, dont nous n’avons pas pu atteindre les représentants.

Nous vous avons ouvertement exprimé nos opinions, camarades, sans égard aux considérations tactiques. Nous vous laissons la décision, et nous vous recommandons d’accepter les points mentionnés, afin que, lors du prochain Congrès du Parti Communiste ouvrier d’Allemagne, le programme du Parti passe de façon claire et nette des maladies infantiles de l’organisation à une pleine capacité d’action. Le point de vue de notre Parti sur la situation politique et économique en Allemagne s’est avéré être juste. Le temps de la révolution sociale est venu en Allemagne. Maintenant il n’y a plus qu’un seul but : rejoindre les rangs des combattants prolétariens et les souder ensemble malgré les irritations personnelles, toutes les déviations et les considérations théoriques, afin d’aider la révolution à remporter la victoire en Allemagne!

Vive la révolution prolétarienne en Allemagne !

Vive la révolution mondiale !


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Compiled by Vico, 18 January 2020